La rénovation énergétique des bâtiments est un enjeu majeur de la transition énergétique et écologique. Que ce soit pour les particuliers ou professionnels, cela nécessite un accompagnement et des conseils. Un besoin de conseil personnalisé qui fait partie intégrante d’un service public de l’énergie local. Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, ces dernières années ont vu l’arrivée de nouvelles méthodes et dogmes de gestion qui ne sont pas adaptés au service qui doit être rendu.
Introduction : En quoi ça vous concerne ?
Vous l’entendez souvent : la rénovation thermique des bâtiments est un enjeu majeur de la transition énergétique. Que ce soit les bureaux, les usines ou les logements… l’enjeu est devant nous. Mais pour passer à l’action et faire rénover son logement (par exemple), les démarches peuvent être complexes : mieux vaut ne pas être seul. Cela commence par une plateforme à appeler qui pourra vous aiguiller, des personnes qui pourront vous aider à construire un dossier de financement, du conseil pour bien choisir les entreprises qui feront les travaux, etc.
Que ce soit pour rendre concrète la transition énergétique, alléger votre facture d’énergie ou créer de l’emploi local non délocalisable dans la rénovation, l’accompagnement est très important.
Cet accompagnement, il doit être gratuit et indépendant. C’est la raison d’être de ce qu’on appelait jusqu’à il n’y a pas si longtemps les « Espaces Info Énergie ». Il sont gérés en partenariat avec les collectivités territoriales, comme Nantes Métropole par exemple, qui les cofinance. Mais les Espaces Info Énergies ont récemment connu des changements dans leur mode de financement, changement qui sont assez typiques d’une logique néolibérale, et cela fragilise potentiellement tout cet accompagnement.
Le but de cet article est donc d’expliquer les logiques de financement mis en place dernièrement, montrer les problèmes que cela pose et rendre visible les choix politiques que nous avons fait à Nantes Métropole.
Logiques gestionnaires et néolibéralisme : de quoi on parle ?
Si vous avez déjà assisté à des réunions politiques avec des gens de gauche qui critiquent au choix la politique énergétique, de gestion des autoroute ou de réforme de l’hôpital public… vous avez peut-être entendu parler de « logique gestionnaire ». Sous-entendu une manière de mieux faire et mieux gérer les ressources, qui s’imposerait aux services publics. Mais alors : est-ce un vrai truc, et quel est le problème ?
C’est là le postulat que des méthodes de gestion développées dans le monde de l’entreprise seraient à même de mieux gérer certains services publics. C’est peut-être vrai, après tout il y a des « bonnes idées » partout. Peut-être que certaines pratiques sont à même de mieux rendre certains services à la population. Ce côté « des bonnes idées sont bonnes à prendre partout » a même fait office de programme politique à Emmanuel Macron en 2017.
Mais souvent il y a une forme de dogmatisme dans ce transfert. Ce n’est pas seulement une approche qui vise à maximiser les services aux populations, c’est une approche idéologique caractéristique de ce qu’on appelle le néolibéralisme. Parmi les nombreuses définitions qu’on peut donner à ce terme de néolibéralisme, il en est une qui s’applique bien ici : si le libéralisme imposait de laisser le milieu économique seul et de ne pas interférer avec la libre concurrence, le néolibéralisme est une intervention volontaire de l’État (ou de la collectivité) pour forcer à la mise en concurrence… dans des secteurs qui n’y sont pas toujours adaptés.
Cela peut passer par de la privatisation pure et simple (comme nous l’avons vu avec Aéroports de Paris par exemple), mais aussi par la conception de certaines subventions, avec la tarification à l’acte à l’hôpital, ou l’obligation de passer par des marchés publics pour des dispositifs qui auparavant fonctionnaient sur la base de partenariat entre acteurs du territoire.
Les Espace Infos Énergie
Regardons dans le détail ce que cela donne. Un des enjeux majeurs de la transition écologique est la rénovation énergétique des bâtiments : cela crée de l’emploi local en diminuant le besoin énergétique, crée plus de confort pour les personnes, permet de lutter efficacement contre la précarité énergétique, rend notre système énergétique plus résilient… Bref, il faut y aller et il faut massifier. Pour cela, il y a un échelon essentiel et structurellement pas rentable : accompagner les gens dans leur parcours de rénovation. La plupart des gens ne feront pas beaucoup de travaux de rénovation dans leur vie, donc il faut les accompagner, par des professionnels, pour qu’ils s’y retrouvent dans les aides, évitent les arnaques, disposent de bonnes méthodes, soient rassurés sur la durée de l’opération…
Cet accompagnement, il était historiquement réalisé par les « Espaces Info Énergie ». Du premier coup de fil jusqu’au montage des plans de financement des travaux, c’est une brique essentielle de la mise en action pour la rénovation énergétique. Financé par l’Ademe 1 et les collectivités territoriales2, les Espaces Info Énergie avaient des formes différentes selon les territoires. C’était parfois des associations militantes de la transition énergétique qui avait développé une activité de sensibilisation à la rénovation énergétique; et qui s’étaient professionnalisées. C’est le cas par exemple d’Alisée, implantée sur le Maine-et-Loire et la Loire-Atlantique. Malgré un système de reporting qui étaient déjà assez compliqué, on peut quand même dire que les Espaces Info Énergie touchaient un financement en direct pour le service global qu’ils rendaient. Sauf qu’en 2020 exit ce système : il faut sortir de ce système trop militant et « rationaliser » tout ça.
Financement à la tache : fin de la confiance, début de la précarité
En 2020 donc, changement de sigle. On enterre les EIE (Espace Info Énergie) et on passe au réseau FAIRE 3. On finance maintenant ce service via les Conseils Régionaux, et notamment pour une tâche précise : un coup de fil d’accompagnement est payé x€, un rendez-vous x€, … Un barème national est ainsi fixé.
L’étendue d’action est également élargi, avec un travail sur le petit tertiaire par exemple et la réalisation de certaines opérations. Là où avant le niveau d’accompagnement était jugé par certains opérateurs trop léger et se limitant à l’information et au conseil. Une évolution était donc nécessaire.
Certains territoires ont bien voulu jouer le jeu, jusqu’à se rendre compte (ou confirmer) les nombreuses limites de ce système : le barème donne une rémunération beaucoup trop faible qui n’intègre pas les coûts de structure. Cela fragilise les structures qui ont une incertitude sur leur subvention, les obligations de chiffres ne reflètent pas nécessairement le véritable objectif qui est de massifier les rénovations sur le territoire… Fort de cette précarisation, du manque de dialogue et de cette approche trop dogmatique, certains acteurs ont fait savoir leur désaccord comme le réseau breton qui a refusé de participer aux rencontres digitales du réseau FAIRE.
Derrière ce mode de financement se cache aussi une dévalorisation du travail. Dans sa célèbre (et longue !) conférence gesticulé « Inculture », Franck Lepage décode le système de financement par projet : on ne donne plus une subvention pour financer des métiers utiles (Éducateur spécialisé, Conseiller espace info énergie…), on finance des « projets » (une fresque sur un quartier, un dispositif spécifique…). Ce système a pour effet de ne plus reconnaitre les compétences métiers des personnes, mais simplement valide leur bonne capacité à entrer dans les cases de l’administration, en augmentant fortement les coûts administratifs de rédaction et suivi des dossiers.
Existe-t-il une autre approche ?
Il est des activités qui ne sont foncièrement pas « rentables », et notamment celles qui doivent accompagner en toute confiance et de manière désintéressée des citoyens. Essayer de les faire rentrer dans les cases de la mise en concurrence est non seulement à contre-courant de la culture nécessaire de ce genre d’activités, mais aussi délétère pour leur fonctionnement.
En Pays de la Loire, le fonctionnement retenu est particulièrement poussé et risqué pour les structures : les communautés de communes lancent des appels d’offres invitant des structures à rendre le service, avec un financement qui variera en fonction des « résultats », pour ensuite toucher une part de financement par la Région. Les organismes qui répondent s’exposent évidemment à une très forte incertitude et à un risque pour leur structure. Cela explique notamment que peu de structures présentes sur les territoires répondent à ce type de sollicitations. A Nantes Métropole, nous avons fait le choix de contrer cela : nous avons établi un partenariat avec l’ancien EIE, nous lui assurons un financement fixe (ce qui lui permet de former, d’embaucher et d’investir) et c’est la collectivité qui prend le « risque ». Si les objectifs ne sont pas « remplis », c’est la collectivité qui perdra des revenus. Nous allons de plus abonder en moyens financiers pour aller au-delà des moyens trop faibles accordés aux plateformes.
Avec cette démarche, nous donnons les moyens à l’opérateur de se concentrer sur l’essentiel : donner un conseil neutre, sérieux et désintéressé en matière de rénovation énergétique. Nous le sécurisons sur 3 ans, au lieu d’accepter un financement variable qui mène à une politique du chiffre sans but ni logique.
Le problème, c’est que seules les grosses collectivités peuvent assumer ces coûts, et ces risques financiers. Et, même pour une métropole de la taille de Nantes, il s’agit d’un choix fort et volontariste. Il faut de plus déjà avoir un acteur sur le territoire qui peut monter une plateforme avec autant d’activités et de publics, capable d’être réactif aux appels d’offres qui ne laissent que quelques semaines ou mois pour dimensionner et penser un service complet et complexe d’accompagnement à la rénovation. Il y a fort à parier donc que de nombreuses collectivités n’arriveront pas à trouver un prestataire4. Le plus grave étant que les territoires dans cette configuration resteront sur le bas côté en termes de transition énergétique : en aucun cas ils n’obtiendront les résultats souhaités en matière de progression de la rénovation énergétique des logements.
Du côté de Nantes Métropole, le choix de faire confiance à un acteur reconnu du territoire est porté par la volonté d’accumuler de l’expérience sur ce type de prestations, afin d’en faire un retour aux territoires alentour pour ainsi leur permettre de se saisir de cette opportunité.
Bref, les logiques gestionnaires et la mise en concurrence ne fonctionnent pas pour tout. Il faut sortir de l’approche gestionnaire totalement dogmatique. Finançons non pas des « tâches » mais des postes pour des gens qui font bien leur métier. Trouvons surtout des moyens pour construire un service public de l’énergie solide, même dans les territoires ruraux où on ne dispose pas nécessairement de l’ingénierie pour répondre à des dispositifs alambiqués et trop complexes.
Notes
- L’agence gouvernementale de la transition écologique
- Les collectivités territoriales des institutions publiques locales qui ne sont pas l’état : région, départements, communes, communauté de communes. Dans notre cas, ce sont les métropole et les communauté de communes qui financent car elles ont la « compétence » énergie.
- Les puristes diront que « pas tout à fait », mais actons que le but de cet article n’est pas de se perdre dans les détails des appellations, des sigles et des modes de financement, mais plutôt d’expliquer les logiques derrière tout ça.
- Par exemple la Communauté de communes Châteaubriant-Derval a lancé un appel d’offre pour trouver un prestataire qui pourrait développer une plateforme territoriale de rénovation énergétique, basée sur la grille tarifaire du SARE (c’est le nom du nouveau dispositif d’Etat, Service d’Accompagnement pour la Rénovation Energétique), référence sur laquelle la Région Pays de la Loire dimensionner les aides. Résultat : seulement une réponse est parvenue à l’appel d’offres de la Communauté de communes Châteaubriant-Derval et c’est celle de… la « SEM Croissance Verte », la SEM de la Région ! Car, implicitement, cette SEM régionale a promis de répondre aux appels d’offres pour assurer qu’ils ne soient pas infructueux.
Au vu des tarifs (bas) et des objectifs (élevés), les observateurs observent toutefois qu’il est probable que cela ne marchera pas. Ce qui veut dire que la Région va devoir reprocher à sa SEM de ne pas tenir les objectifs d’un dispositif qu’elle finance elle-même. Elle risque donc d’aller pénaliser sa SEM, ou de lui demander de faire des prestations déficitaires. Situation ubuesque, les fans de politiques publiques se régalent…