Dans un article de décembre 2021, Le Monde revient sur quelques enjeux de la rénovation énergétique. Un article intéressant que l’on peut connecter avec d’autres sujets, comme le fait que la centrale à charbon de Cordemais tourne actuellement à plein régime, ou encore les problèmes de mal-logement.
La dévalorisation des biens
Les passoires thermiques perdent beaucoup de valeur immobilière, notamment suite à la loi climat qui va progressivement interdire à la location certains logements selon leur étiquette énergétique : en 2025, les 600 000 logements classés G seront interdits à la location, en 2028 ce sera le tour des 1,2 million de logements classés F, et en 2034 celui des 2,6 millions de logements classés E.
Rappelons que les étiquettes estiment une consommation moyenne annuelle par surface d’un logement. Mais il n’y a pas que la facture d’énergie : une mauvaise qualité thermique c’est aussi avoir trop chaud en été, des courants d’air dans le logement… Bref, c’est un enjeu de confort global. Mais le confort d’été n’est pas vraiment un critère de choix quand on cherche un appartement (alors que la facture d’énergie peut l’être).
Quoi qu’il en soit, cette disposition de la loi climat est bien en train de faire changer les choses. L’article du Monde fait même part de propriétaires qui souhaiteraient vendre leurs biens plutôt que de rénover.
La difficulté de qualité dans la rénovation thermique
Autre problème pointé dans l’article : la qualité de la rénovation thermique. Certains se lancent dans une rénovation thermique, mais au final la facture énergétique ne diminue pas assez, voire même ils n’arrivent pas à passer les bons niveaux sur les fameuses étiquettes. Cette mauvaise qualité de rénovation peut être due à un ensemble de facteurs mais retenons-en deux, sur lesquels les collectivités locales peuvent agir : la formation des professionnels et la qualité finale visée.
Des collectivités comme Nantes Métropole ont depuis longtemps pris des engagements forts : un niveau important d’aide à la rénovation thermique mais conditionnée au fait d’atteindre une étiquette A. Cela pousse les professionnels à se dépasser, à innover et à se former pour permettre aux logements d’atteindre ce niveau. D’autres collectivités comme Paris ont mis en place des processus très poussés d’expertise appelé « Audit Global Partagé » : avant de toucher une aide, le logement doit avoir fait l’objet d’une étude de fond, réalisée par des professionnels certifiés. Ces deux démarches peuvent pallier ce double problème (formation et niveau d’exigence) et ont fait leurs preuves.
Mais pour mener une politique publique digne de ce nom en terme de formation, d’approvisionnement en matériaux et de financement, il nous faut avoir une idée fiable de la quantité de logements à rénover, mais là aussi c’est compliqué. Les estimations de nombre de logements que je vous ai données viennent de l’article du Monde, qui se base sur des chiffres du gouvernement. Sauf que la journaliste précise aussi que cette évaluation est en fait très certainement sous-estimée. En fait on ne connaît pas l’état complet du parc, mais seulement ceux qui ont été vendus ces 15 dernières années. D’après Olivier Sidler, fondateur du bureau d’études Enertech et porte-parole de l’association NégaWatt : « En réalité, le nombre de passoires thermiques sera plutôt autour de 7 millions – 45 % de plus que l’estimation du ministère –, soit près de 25 % du parc. »
L’équilibrage du réseau, l’autre raison de rénover
Que ce soit pour limiter les factures d’énergie qui bondissent en hiver ou pour limiter au global un pic d’hiver, la rénovation permet aussi de limiter la thermosensibilité du réseau. En clair : éviter que chaque pic de froid provoque un pic de consommation. On voit bien qu’en hiver on a un pic de consommation directement dû au chauffage. Lors de ce mois de décembre, la France a même atteint un pic de consommation instantanée de 80 000 MW. Et encore on ne parle ici que de l’électricité : cette variabilité est encore plus importante avec le gaz.
Cette différence est compliquée à gérer car elle force à dimensionner notre système énergétique pour faire face à la pointe, et donc à recourir à des solutions dites d’appoint comme les centrales à charbon. C’est d’ailleurs en filigrane ce qui était évoqué dans ce reportage de Télénantes sur la centrale à charbon de Cordemais, qui tourne à plein régime : https://www.facebook.com/tristannantes44/posts/1084675059038007
Dans un contexte de transition vers plus d’énergie renouvelable, il est impératif de réduire la thermosensibilité de notre système énergétique1 . Cela évitera en plus à beaucoup de Français et de Françaises de voir leur facture d’énergie doubler à une époque ou ils auraient bien économisé pour partir en vacances voir des proches ou pour faire des cadeaux.
Les gens qui ont froid
Derrière ces chiffres et ces filières, il y a des gens qui ont froid. Car on parle de logement, donc de quelque chose qui touche éminemment à nos vies, à notre expérience du monde, à nos corps.
L’Insee a une étude intéressante sur le sujet, bien qu’un peu ancienne, “Les conditions de logement en 2013”. Je vous ai extrait quelques graphiques que je vous propose de commenter pour comprendre la situation, en regardant notamment les dépenses en fonction des revenus des ménages. Pour cela l’Insee utilise les « quartiles », un outil statistique dont voici la définition, à retrouver sur leur site. La limite de cette division est que cela fait des paquets un peu trop gros qui cachent donc l’extrême pauvreté et l’extrême richesse. Avec des données de 2007 (si vous avez plus récent, je prends !) :
- le quartile 1 réunit les personnes qui ont un revenu net inférieur à 1000€/mois ;
- le quartile 2 entre 1000€/mois et 1225€/mois ;
- le quartile 3 entre 1225€/mois et 1773€/mois ;
- le quartile 4 au dessus de 1773€/mois.
Le prix du logement
On voit que les ménages dépensent entre 1200€ et 1400€ pour le logement, parfois avec deux revenus. Plus on est riches, plus on a un grand logement qui coûte cher (logique), mais le poids des charges (dont une grande partie est le prix de l’énergie) n’est pas proportionnel : en gros cela revient à 350€ par mois. Donc en proportion du revenu, le prix de l’énergie pèse plus sur les plus pauvres que sur les plus riches.
Au delà du prix, l’inconfort
Il y a certes la dépense, mais aussi l’inconfort, le fait d’avoir froid chez soi. 4,7 millions de foyers ont froid. Cela représente environ 10 millions de personnes. Bien sûr cet inconfort n’est pas équitablement réparti au sein des différentes couches de la population : dans le quart le plus pauvre, presque 30% des personnes souffrent du froid alors qu’ils ne sont que 10% dans le quart le plus riche.
Les raisons de l’inconfort
Pour 2 millions de foyers, dont presque la moitié du premier quartile, le manque d’isolation est la raison invoquée du froid, suivie de près par des installations pas assez puissantes. Au final, toutes les causes de froid, à part les pannes, peuvent être liées à la question de « l’enveloppe » du logement, et donc à la rénovation thermique. Presque la moitié des personnes qui souffrent d’un logement mal isolé font partie du quart le plus pauvre de la population.