L’avion vert à hydrogène, une proposition sérieuse ?

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Pour sauver la planète, faut-il changer le carburant de nos avions ou arrêter de construire des avions ? L’hydrogène est parfois présenté comme un carburant alternatif décarboné, solution ultime pour le transport du futur. L’enjeu est évidemment économique, rien que sur le Port de Nantes Saint-Nazaire, la construction aéronautique et navale représente 6400 emplois directs et près de 3 fois plus d’emplois indirects1. Le rêve logique, donc, est de résoudre la question environnementale, en perturbant le moins possible l’industrie, le tout avec un peu d’innovation technologique. Par exemple, remplacer le kérosène des avions par de l’hydrogène vert produit grâce à des énergies renouvelables.

Pourquoi donc ne pas accepter cette idée d’une énergie renouvelable et infinie, qui produirait de l’hydrogène et autres nouveaux carburants ? Cela nous permettrait d’éviter cette fameuse « sobriété » qui est vécue comme une remise en cause de notre confort matériel ! Pourquoi ne pas soutenir mordicus les plans de conversion à l’avion vert et ainsi continuer à prendre l’avion pour un aller et retour sur un week-end, pour la moitié du prix du train ?

La vérité est simple (et triste) : Rien ne remplacera jamais les énergies fossiles. Que ce soit l’hydrogène ou les batteries, rien ne se substituera tel quel à « l’or noir ». Rien ne nous permettra de conserver ce niveau de consommation énergétique tout en préservant l’environnement. Pour étayer un peu ça, il faut regarder ce que veut dire ce « changer de carburant, mais ne rien changer d’autre« .

Un ordre de grandeur sur le coût énergétique

Regardons de plus près l’avion à hydrogène. L’idée souvent défendue est de « décarboner » le secteur de l’aérien en changeant de carburant. Le nouveau carburant, qui viendrait remplacer le kérosène, pourrait être de l’hydrogène, un gaz que l’on pourrait produire par électrolyse de l’eau. Pour montrer que je suis quelqu’un de sérieux, je vous mets même une formule2 : 2H20 + Électricité => 2H2 + 02 ou en français : de l’eau + de l’électricité donne de l’hydrogène et rejette de l’oxygène.

Créer du carburant avec de l’électricité décarbonée, avec pour simple rejet de l’oxygène. Le rêve quoi ! Mais ça se complique quand on regarde la quantité d’énergie nécessaire et le temps pour déployer une telle technologie à grande échelle. C’est justement ce que pointe un collectif de chercheur et de chercheuses dans un article Avion à hydrogène : quelques éléments de désenfumage 3, dont je reprends les idées et hypothèses pour la suite.

Ces scientifiques calculent que pour faire passer l’ensemble des vols de l’aéroport de Toulouse-Blagnac en hydrogène, il faudrait 3,6 TWh électricité. Si on transpose à l’aéroport de Nantes 4 cela ferait 2,7 TWh électricité. Vous n’avez pas encore sauté au plafond ? Je vais traduire : pour produire cela avec des panneaux solaires il nous faudrait en poser 27km², soit presque 6 fois la surface de l’île de Nantes ! Et encore ce n’est que pour un aéroport régional, avec l’aéroport Paris Charles de Gaulle, les chiffres grimpent en flèche : pour produire tout cet hydrogène, il nous faudrait 16 réacteurs nucléaires dédiés5, … Et à cette étape nous n’avons toujours pas commencé à produire de l’hydrogène pour les voitures, les cargos, etc.

Les limites de ce tout hydrogène ne s’arrête pas là : durée pour équiper les avions et les aéroports, difficultés de stockage (les particules d’hydrogènes sont les plus petites), quantité à transporter, …

Même pour la lutte contre le réchauffement climatique, ce changement de carburant ne résout pas tout : c’est ce que développe remarquablement le rapport L’illusion de l’aviation verte par l’association « Stay grounded »6.

« Garder un avion pas cher pour tous » … vous êtes sûrs ?

Derrière ce débat de l’avion vert, on entend souvent l’idée qu’il faut garder un avion à bas coûts, car cela permet aux plus pauvres de voyager. Mais dans les faits, c’est faux. Le rapport L’illusion de l’aviation verte y consacre une partie : « Qui vole, qui ne vole pas ? Inégalités au sein de l’espace aérien » (page 5) : « A l’aube du nouveau millénaire, moins de 5% de la population mondiale était déjà montée à bord d’un avion. L’Amérique latine et l’Afrique ne représentent que 11% du transport aérien de passager.e.s, tandis que l’Amérique du Nord et l’Europe en représentent la moitié à elles deux, malgré leurs populations moins importantes. Les produits tels que les biens électroniques, les denrées périssables et produits d’agrément, les fleurs coupées et les produits de « mode éphémère » sont de plus en plus fréquemment transportés par voie aérienne et principalement consommés dans les pays enrichis. Des disparités majeures existent également à l’intérieur des pays entre usager.e.s et non-usager.e.s du transport aérien. Celles-ci sont directement liées aux écarts de revenus au sein des sociétés. Il est donc moins paradoxal qu’il n’y paraît à première vue que les électeur.ice.s du Parti Vert soient plus souvent dans les airs que les autres électeur. ice.s en Allemagne. Il.elles représentent, de manière générale, les plus hauts revenus. Les Allemand.e.s situé.e.s dans la tranche haute des revenus volent en moyenne 6,6 fois par an, contre 0,6 fois par an pour les plus bas revenus, ces derniers représentant toujours un nombre très important à l’échelle mondiale. Le voyage aérien n’est donc en aucun cas normal. Au contraire, ce système de mobilité basé sur des énergies fossiles est hautement exclusif et impérialiste. Celles et ceux qui voyagent par avion ou optent pour certains produits le font au détriment des autres : les personnes exposées au bruit et aux particules polluantes des avions, les écosystèmes locaux, les générations futures et les habitant.e.s des pays appauvris qui font déjà les frais des répercussions du changement climatique.« 

Qu’on ne se trompe pas : ce discours de réserve vis-a-vis de l’hydrogène et de l’avion vert, il vise avant tout à contrer l’augmentation très importante de trafic aérien. Les projections ont été remises en cause avec la pandémie, mais l’idée était, au niveau mondial, de doubler le nombre de passagers en 20 ans.

Quels conclusions en tirer ?

Les militant.e.s et responsables politiques ne doivent pas prendre tels quels les discours d’un hydrogène – ou toute autre technologie – sauveur du climat. Car certains grands plans de décarbonation ne cherchent pas tant l’intérêt collectif qu’une forme de conservatisme : faire miroiter des solutions à l’horizon pour éviter toutes contraintes sur leurs activités. C’est normal, c’est leur rôle : à nous d’être vigilants.

La transition écologique passe nécessairement par une approche industrielle et par une forte innovation de toutes les entreprises. Sont particulièrement concernées celles qui sont dans des secteurs qui polluent beaucoup pour répondre à des besoins de plaisirs d’un tout petit nombre de personne, comme l’aviation. Mais ces changements technologiques ne sont pas suffisants. Nous le voyons ici avec l’hydrogène, ce n’est pas tenable. Penser que nous pourrons « remplacer le carburant » sans limiter les usages n’est pas sérieux. C’est pour cela, partant de ce constat rationnel et chiffré, que le premier pilier de la transition énergétique est toujours la sobriété.

Ce pari technologique de l’hydrogène doit donc être complémentaire de nombreuses autres solutions et surtout de changements profonds dans l’utilisation et la répartition de nos ressources.

Aller plus loin

Le youtubeur « Le Réveilleur » a fait de super (et longues) vidéos sur les questions techniques de l’hydrogène :

Notes

  1. analyse de 2015 de l’Insee : 24 400 emplois sur le complexe industrialo-portuaire de Nantes Saint-Nazaire
  2. Attention, il s’agit de la transformation globale, la réaction chimique qui a effectivement lieu est plus complexe que cela et nécessite plusieurs étapes.
  3. article sur lequel ce billet de blog est basé : Avion à hydrogène : quelques éléments de désenfumage, par un Collectif de chercheur.es de Toulouse
  4. un produit en croix sur le nombre de passagers
  5. Si à ce stade vous vous dites que le nucléaire est la « solution au problème », retrouvez mon article : Nucléaire et climat : quelques arguments
  6. Rapport de 24 pages en français de l’association « Stay grounded » : L’illusion de l’aviation verte.

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