Procès de Dernière Rénovation à Nantes : un droit en construction

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Mardi 16 avril le tribunal correctionnel de Nantes, suite à un dépôt de plainte de Nantes Métropole, étudiait le cas d’un militant de Dernière Rénovation qui comparaissait pour avoir aspergé de peinture orange l’entrée de la Préfecture le 22 mars dernier.

Le jugement a été rendu jeudi 30 mai, verdict : relaxe ! Ce jugement est une reconnaissance de la dimension politique de ces actions tout en étant anecdotique sur les dégâts.

Les Écologistes avaient porté et obtenu que la collectivité modifie sa constitution de partie civile, en ramenant sa demande à l’euro symbolique au lieu des 8200€ initialement réclamés. Il s’agit d’une décision politique, car nous faisons ainsi reconnaître ainsi la dimension politique de l’action des militants de Dernière Rénovation.

Alors pourquoi ? S’agit-il d’un simple “copinage entre écologistes” comme certains et certaines sous-entendent ? Ou y a t-il un vrai sujet intéressant derrière cette affaire ? (spoiler, dans l’ordre : parlons-en ; non ; oui)

Modes d’action variés, principes éthiques communs

En tant qu’acteurs politiques, en tant qu’élu.e.s, nous choisissons un autre mode d’action que la désobéissance civile, nous choisissons l’action à l’intérieur des institutions. Mais nous devons reconnaître qu’il est utile que les citoyens et citoyennes continuent à faire pression de leur côté. La démocratie n’est pas qu’un rendez-vous tous les 4, 5 ou 6 ans, c’est un état de la société où la mobilisation des gens pour des causes justes a toute sa place. Elle est même nécessaire.

La ligne portée par “Dernière Rénovation” est la même que celle de nombreuses organisations : la désobéissance civile non-violente. Leur action est donc d’ordre politique, et la non-violence cadre qu’elle ne se fera pas à l’encontre des personnes. La non-violence est nécessaire pour ne pas prendre le risque de discréditer le mouvement, et pour permettre aux responsables politiques écologistes de soutenir le message des militants. C’est un choix éthique et politique, une base à partir de laquelle nous pouvons coopérer : le but de l’action militante n’est pas de détruire des biens ou de blesser, le but de l’action est d’interpeller, de visibiliser un sujet qui ne l’est pas.

A ce titre, il faut saluer le choix du collectif Dernière Rénovation : en prenant comme sujet la question de la rénovation thermique, ils et elles s’attaquent à un dossier technique, pas assez connu, et le mettent sur le devant de la scène : la rénovation thermique comme enjeu vital de notre société.

En début de ce mandat, associations et élu.e.s écologistes ont par exemple obtenu à Nantes le recul de la publicité en ville grâce à une mobilisation conjointe. L’arrêt du projet climaticide d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes n’a été rendu possible que par la diversité d’actions d’élu.e.s, d’associations et de militant.e.s, toutes et tous mobilisé.e.s. Cette mobilisation doit continuer pour tous les autres combats majeurs de notre siècle : la rénovation thermique, la conversion de l’industrie et de l’agriculture, la préservation des ressources naturelles, ou encore le refus de nombre de projets absurdes nés au siècle dernier.

Rénover pour (sur)vivre

Dans une métropole comme Nantes, un tiers de l’énergie que nous consommons est utilisée pour le chauffage. A un tel niveau, il est impossible de décarboner ce volume d’énergie : notre société consomme trop de gaz, de pétrole et d’électricité pour passer à un système renouvelable. Le développement des énergies renouvelables doit donc se faire de pair avec une moindre consommation d’énergie.

A Nantes Métropole et partout en France, le domaine qui doit porter le plus d’efforts pour réduire cette consommation d’énergie, c’est le chauffage des bâtiments. Pour tenir nos engagements, nationaux et internationaux, il nous faut réduire de presque moitié cette dépense d’énergie d’ici 2050. Sinon, elle sera trop élevée, impossible à décarboner, et il est alors illusoire de penser que nos engagements internationaux comme l’Accord de Paris sur le climat puissent être tenus.

Tout cela est inscrit dans les grands plans de l’État, mais il y a une hypocrisie : l’État ne met pas les moyens pour réaliser ce nécessaire « bond en avant » de rénovation thermique. Comme pour de nombreuses politiques publiques, le sujet est traité par effet d’annonce, et non dans la durée.

Nous l’avons vu encore récemment avec le débat sur le budget alloué à Ma Prim’Rénov, le dispositif étatique d’aide à la rénovation : d’un budget initialement prévu à 4 Md€ pour 2024, le gouvernement fait le choix de faire 1 milliard d’économie en passant l’enveloppe à 3 Md€.

Quand à Nantes Métropole nous avons multiplié par 4 les crédits consacrés à la rénovation thermique entre 2022 et 2024, l’État n’a même pas doublé ses financements sur la même période. Ces chiffres sont datés d’avril 2024. A la fin mai 2024, de nouvelles coupes sur ce budget de la rénovation thermique sont annoncées. La situation pourrait donc empirer.

Cette insuffisance de financement, nous la signalons, nous la dénonçons en tant qu’élus, avec tous les moyens dont nous disposons, mais nous apprenons les coûts de rabot successifs dans la presse. Ainsi, la pression populaire en faveur des aides à rénover son logement, gagner en confort, protéger toutes et tous de l’inflation du prix de l’énergie est absolument nécessaire.

Logement dégradé : une source d’inégalité majeure aujourd’hui et dans les années à venir. Avec la multiplication des évènements climatiques extrêmes dus au changement climatique, la question de la qualité thermique du logement va être de plus en plus un enjeu d’égalité sociale. Elle l’est globalement déjà aujourd’hui : les plus pauvres partent moins en vacances l’été… et habitent les passoires thermiques ou les logements sont les moins vivables en cas de chaleur. Pour creuser cette question, je vous renvoie vers l’étude de Géraldine Molina réalisée sur la ville de Nantes, qui souligne cette inégalité croissante.

Article de synthèse : https://metropole.nantes.fr/enquete-chaleur
Enquête complète : Molina G., Hureau L., Lamberts C., 2023, Les citadins face aux fortes chaleurs : vulnérabilités, santé et adaptations des habitants. Enquête sur 1 300 habitants de Nantes et leurs vécus de l’été 2022, rapport du programme de recherche CNRS – IRSTV – Nantes Métropole « Habitants des villes et climat », Nantes, publié sur Open science HAL en juin 2023

Désobéissance civile et climat : un droit en construction

Le procès du 16 mars a été particulièrement intéressant. Même si un peu trop expéditif, la juge signalant qu’elle a beaucoup d’affaires à traiter et “pas le temps pour les tribunes politiques”. L’avocate du militant a développé un propos qui permettait de prendre du recul sur l’action menée par Dernière Rénovation. Et ce en 3 parties[efn_notes]Vu que je n’ai ni la prétention de pouvoir développer une argumentation juridique aussi construite que l’avocate, ni celle de faire une retranscription tout à fait fidèle, je ne liste ces 3 arguments qu’à titre de réflexion. Si vous voulez en savoir plus, rendez-vous à un de ses procès (c’est gratuit et en libre accès, comme tous les procès)[/efn_notes].

D’abord, sur le concept de dégradation légère. Quoi qu’on en dise, l’action en tant que telle et le niveau de dégât sont centraux dans le procès. Une partie du débat a porté sur la nature de la peinture, savoir si elle était “à l’eau”, ou non. Derrière ce débat, il y a en fait la recherche de qualification du but de l’action : Dernière Rénovation n’a pas fait cela en raison d’un gout immodéré des préfectures peintes en orange, l’action matérielle est le support d’un message. Le but n’est pas de dégrader, et c’est pour cela que les moyens choisis visent à faire des dommages légers (ici, effaçables). Ce genre d’action pourrait d’ailleurs donner lieu non pas à un procès mais à une simple contravention, et c’est bien cette considération de “dommage léger” qui aurait poussé le tribunal de Paris à relaxer des militant.e.s qui avait mené une action similaire, le même jour, sur le ministère de la Transition Écologique.

Une action proportionnée … et une condamnation qui serait disproportionnée ? C’est le deuxième argument. Prenant l’exemple des Femen (mouvement féministe connu notamment organiser des actions ou des femmes seins nus écrivent des slogans sur leur corps), pour lesquelles la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) avait jugé disproportionné de les condamner pour exhibitionnisme. Le fait que les militants de Dernière Rénovation se mobilisent pour une cause d’intérêt général indéniable, car l’intérêt général s’applique aux causes environnementales, dans une action revendiquée et assumée à visage découvert (comme les Femen), entraînerait qu’une condamnation pourrait être considérée comme une atteinte à leur liberté d’expression.

Enfin, les militants et militantes invoquent l’état d’urgence pour justifier leur action. L’état d’urgence est juridiquement encadré : il faut pour cela que l’action s’inscrive en réponse à un “péril actuel et imminent”. Il s’agit là d’un point très politique que de rappeler que nous sommes, face aux enjeux écologiques, dans un péril imminent. Revendiquer l’état d’urgence, c’est rappeler la nécessité de l’action mais aussi la situation de danger dans laquelle nous sommes tous et toutes.

C’est finalement la question de la liberté d’expression qui a permis la relaxe.

Conclusion : désobéissance civile, une jurisprudence et un droit en construction.

La désobéissance civile est un compagnon de route de longue date des mouvements écologiques. Elle prend des formes variées : des faucheurs d’OGM aux blocages de routes ou d’infrastructures et passant par la peinture symbolique de bâtiments. Il ne s’agit pas de dire que toute désobéissance civile est bonne à prendre : au-delà de la non-violence, l’enjeu d’un vrai message à diffuser est essentiel.

Que ce soit pour la reconnaissance d’une action aux conséquences matérielles anecdotiques (bien que marquantes médiatiquement), la liberté d’expression ou la reconnaissance d’état d’urgence climatique, les condamnations d’actions de désobéissance civile varient en ce moment, selon les affaires et selon les tribunaux. La jurisprudence est en fait en train de se construire. Ce qui fait que oui, le sujet est passionnant à suivre, en tout cas plus intéressant qu’un simple “tu casses, tu répares”, comme dirait Gabriel Attal.

Dans le cas de mobilisation pacifique militante, l’action juridique devient donc un sujet politique : les institutions ne doivent pas porter plainte par automatisme. Limiter la condamnation à 1€ symbolique est une victoire, c’est reconnaître la dimension politique et légitime sur le fond de l’action de ces militants. En tout état de cause, nous déplorons qu’un militant climat lanceur d’alerte puisse être accusé par la justice. Comme s’il était coupable alors que c’est bien l’inaction du gouvernement qui est coupable, et d’ailleurs déjà condamnée en justice.

La situation actuelle est en tous les cas difficile pour les militant.e.s à chaque fois incriminé.e.s, et injuste puisqu’elles et ils se mobilisent pour l’intérêt général. Ce que de tels procès mettent en réflexion, c’est le traitement que notre société fait de la désobéissance civile au motif de l’urgence climatique. Ce que de tels procès questionnent, c’est en fait notre niveau collectif de conscience de l’urgence climatique.