La Maison du Peuple, un lieu étonnant et nécessaire

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Le 28 juillet 2021, la préfecture a fait expulser et mis à la rue les habitants et habitantes de la Maison du Peuple. A beaucoup de Nantais et de Nantaises, ce nom ne dit peut-être rien. Mais pour toutes celles et ceux qui, comme moi, fréquentaient souvent le lieu, c’est la stupeur. La Maison du Peuple était un espace de respiration et de fraternité. Voici donc en quelques lignes ce que représente la Maison du Peuple (MDP) et la raison pour laquelle nous portons, en tant qu’élus écologistes, la volonté de trouver une solution pour la faire revivre.

La Maison du Peuple, qu’est-ce que c’est : récit de la mise en place spontanée d’un tiers-lieu

De Notre-Dame-de-Bon-Conseil à la Maison du peuple

Notre Dame de Bon Conseil est un ancien collège qui appartient au diocèse. C’est un endroit immense, en face de l’entrée du parking Graslin, entre la place Graslin et la rue du Calvaire. Le lieu est vide et inutilisé depuis plusieurs années car un projet immobilier y est prévu : le diocèse veut vendre a un promoteur qui compte y faire une galerie commerciale et des logements plutôt haut de gamme.

En octobre 2019, le lieu est ouvert de force par des militants proches des gilets jaunes et des personnes à la rue. Leur but est de profiter de ce lieu vide pour loger des personnes à la rue et avoir un lieu pour se réunir. Après deux années de cette occupation « illégale » et d’activités, les bâtiments bouillonnent de projets et d’initiatives qui recoupent de nombreux sujets. Ce bâtiment vide devient très occupé et remplit une fonction importante, comblant d’une certaine façon certains « manques » dans la ville.

Ce qu’on y trouve

Sur les questions d’accueil des personnes à la rue d’abord, la Maison du Peuple est l’un des rares lieux  en France géré par des personnes à la rue, pour des personnes à la rue. Elle permet d’accueillir pour quelques heures ou pour quelques nuits des personnes aux profils variés : exilé.e.s, familles arrivant tout juste à Nantes, ou Sans Domicile Fixe voulant simplement boire un café, jeunes sans repères à qui on va donner des responsabilités… La Maison du Peuple est ainsi devenue petit à petit un chaînon essentiel du droit au logement, un lieu reconnu par les travailleurs sociaux. Plusieurs témoignages montrent même que le « 115 », numéro de téléphone et service de l’État chargé de trouver des solutions de logements aux personnes à la rue (car, rappelons-le, le logement est un droit) renvoie certains de ses interlocuteurs vers la Maison du Peuple. Un service de l’État qui oriente vers un squat autogéré… cocasse non ? Pour les gens engagés pour le droit au logement et dans l’accueil inconditionnel, c’est le quotidien.

Outre la question de la mise à l’abri, la MDP participe aussi à la préoccupation essentielle de l’accès aux droits pour des populations variées : santé (PASS mobile, centre de dépistage COVID ouvert à tout le monde, tests MST toutes les deux semaines), administration, cours de français (9 cours par jour). L’ensemble de ces activités est géré sur des bases prédéfinies, en impliquant les habitantes et habitants. La capacité limite d’accueil est fixée et répartie sur deux bâtiments (d’un côté les hommes seuls, de l’autre les familles et femmes seules).

Rapidement, les habitantes et habitants ont souhaité ouvrir le lieu sur le quartier en accueillant des activités culturelles (danse, théâtre, musique), sportives (cours de danse, d’art martial et de yoga), des espaces de travail (artistes en résidence, répétitions, représentations). Un planning participatif permet de réserver les salles pour les différentes activités. Des associations et collectifs ont également profité du lieu pour faire des réunions ponctuelles, le préau étant particulièrement propice à des réunions abritées mais en extérieur pour faciliter le respect des gestes barrière.

Arrivée de la BASE Sociale et Climatique

A l’été 2020, la Maison du peuple accueille la “BASE Sociale et Climatique”. Ce projet, d’abord porté par Alternatiba, est devenu progressivement autonome par rapport à l’association. Il réunit de nombreuses associations de la justice climatique bien connues de notre ville via notamment la mise à disposition de moyens de travail communs : salle de coworking, salles de réunion, studio vidéo et photos, outils partagés pour préparer les actions militantes, temps de convivialité réguliers (notamment les dimanches après-midi), formations et conférences, …

Ce partage d’espace a permis de tisser des liens, permettre (encore plus) de collaborations entre les différentes associations. Nombre de ces associations avec un nombre important de membres n’avaient pas de local pour stocker ou pour se réunir jusqu’alors.

3 témoignages pour comprendre ce que c’est concrètement

Pour mieux comprendre ce que représentait la Maison du Peuple, je vous propose trois témoignages, dont un m’a été rapporté.

Apprendre et s’affirmer pour la génération Climat / Le 24 septembre 2021, un rassemblement en soutien à la Maison du Peuple s’est tenu devant la mairie. En allant parler avec elles et eux, une jeune militante pour le climat m’a dit ceci : « La Maison du Peuple est essentielle pour les assos climat. On a besoin d’un lieu pour se retrouver, pour passer du temps ensemble. C’est un endroit où on peut parler de notre angoisse de voir les politiques ne rien faire face au changement climatique et trouver des moyens d’actions collectifs pour agir. C’est là bas qu’on se rencontrait pour Youth For Climate, qu’on prépare les pancartes pour les manifs, qu’on organise des ateliers… Moi, grâce à la Maison du Peuple, j’ai énormément appris. Avant d’y avoir passé du temps, je n’aurais jamais pu prendre la parole pour affirmer mes idées comme je le fais devant toi maintenant.« 

Un lieu de rencontre pour des gens qui, d’habitude, se croisent sans se parler / Un exilé qui fréquentait la Maison du Peuple de temps en temps : « La Maison du Peuple, c’était le seul endroit ou je pouvais parler à des blancs. Sinon d’habitude, je suis toujours avec des migrants, qui livrent des repas comme moi. Là bas, je pouvais rencontrer des gens différents.« 

Un exemple concret que les luttes justes ne s’opposent pas les unes aux autres, mais se nourrissent entre elles / Fin du printemps 2021, Damien Carême vient à la Maison du Peuple avec des militant.e.s de la campagne pour les élections régionales. L’occasion de refaire un point sur ce lieu qui bat alors son plein. Un militant témoigne : « A la Maison du Peuple, j’ai vu le lien concret entre les luttes environnementales, sociales et culturelles. Souvent les médias opposent le social et l’environnemental, les exilés et les SDF… alors qu’en fait nous on sait que les gens qui militent et qui sont sur le terrain sont sensibles à tous ces sujets. La Maison du Peuple c’est la preuve par l’exemple que les militants et militantes humanistes se retrouvent sur les même causes, et qu’on a un autre projet de société. » Pour mémoire, la semaine d’avant, des autocollants avaient été collés dans la ville par un groupe d’extrême droite, avec un message discriminant envers les exilés et opposant les « SDF français » et les exilés.

Et maintenant ?

J’analyse que cet espace « Maison du Peuple » était en fait comme une préfiguration d’un des points du programme sur lequel nous, au sein de la majorité de Johanna Rolland, avons été élus :

#29 / Accompagner la création du CACC, Centre d’action climatique et citoyen, conventionné, indépendant et auto-géré, et mis à disposition des collectifs du mouvement climat. Lieu de création des alternatives de demain, en lien avec le monde de la recherche, qui pourra également analyser les projets de la Ville et de la Métropole au crible de l’urgence climatique.

C’est à partir de cette promesse issue du programme des écologistes et validée dans le programme commun, que nous nous mettons désormais au travail, dans l’institution, pour trouver des solutions. Ce n’est pas une mince affaire : il faut de la surface, faire travailler ensemble institutions et collectifs autogérés, trouver des solutions juridiques… mais nous nous mettons à l’ouvrage pour toutes les raisons citées dans cet article.

La Maison Du Peuple, c’est un espace de respiration, un lieu atypique, pas tout à fait défini, qui offre du repos : à celles et ceux qui sont à la rue, à celles et ceux qui cherchent des espaces où la publicité et la marchandisation du monde n’ont pas de prise. La Maison du Peuple était comme un pied de nez à cette tendance qui veut attribuer des fonctions très précises et limitées à chaque espace, et devenant simultanément le rêve et le cauchemar de toutes les institutions : des habitants et habitantes se saisissent d’un lieu inutilisé pour répondre à des besoins concrets de la population, ce qui normalement incomberait à l’institution. Mais, en même temps, le projet n’entre dans aucune case, aucun schéma, aucune « politique publique ». Comment faire pour articuler tout cela ?

Le travail qui s’annonce – pour imaginer et installer une nouvelle Maison du Peuple – ne sera pas forcément facile. Il va être fait d’écoute mutuelle, d’efforts de compréhension de part et d’autre, et sans doute d’efforts d’invention – voire de contorsion – pour arriver à un résultat concret… Car oui il nous faut ré-inventer une Maison du Peuple comme brique essentielle de la solidarité locale, essentielle pour les associations et collectifs locaux, que ce soit dans la culture, l’accueil des personnes ou les luttes climatiques. Un équipement, un espace, un lieu étonnant mais nécessaire… dont nous avons tous et toutes besoin !

Notes

Toutes les photos de cet article sont issues de la page Facebook de la Maison Du Peuple Nantes. Merci à elles et eux de m’avoir autorisé à les utiliser pour illustrer cet article.

Merci à mes relecteurs et relectrices.