Fin d’année 2022, l’INSEE a mis à jour ses projection de population en France, par région et par département… et là, stupeur, la Loire-Atlantique a une des dynamiques de gain de population les plus élevées. Alors que 1/3 des régions vont perdre des habitants et habitantes dans les années à venir nous allons en gagner pendant encore au moins 50 ans.
“Stupeur”, car ce gain de population pose des questions sur l’habitabilité de notre territoire. C’était le sujet d’un article précédent ( Quelles sont les limites de la métropole ? ) et le texte ici-présent en est un complément d’analyse.
Mais, que nous disent ces chiffres et avons-nous le droit de ne pas être d’accord avec l’INSEE 1 ?
Je tiens a préciser que j’ai exclu l’ensemble des DOM-TOM pour cette analyse : les évolutions de population étant tellement différentes et dynamiques, cela rendait les représentations graphiques illisibles. Le propos et l’analyse sont, de plus, relativement différents pour ces territoires. Ils devraient d’ailleurs nous interpeller fortement : en 50 ans, Mayotte devrait voir sa population multipliée par 3, la Guyane connaître une augmentation de 73%, la Réunion, une stagnation, quand la Martinique connaitrait une baisse de plus de la moitié de sa population.
La dynamique française de concentration de la population
D’ici 2070, 53 départements auront perdu de la population quand 43 en auront gagné. On peut observer sur les graphiques qu’il s’agit d’une dynamique de concentration de la population sur les départements déjà les plus peuplés, et que les départements qui vont perdre le plus de population sont globalement ceux qui sont déjà les moins peuplés.
Les scénarios de l’INSEE tablent donc sur une concentration toujours plus importante de la population sur certains départements, et une dépopulation de la majorité des autres. A noter que l’étude à l’échelle départementale de ces données est intéressante, car le département est un objet défini géographiquement (on dit qu’il faut pouvoir le traverser en moins d’une journée de cheval).
La dynamique française de répartition de la population est donc celle d’une concentration sur une minorité de départements.
Département qui vont gagner de la population | 43 | 45% |
dont contenant une métropole | 14 | 67% |
Département qui vont perdre de la population | 53 | 55% |
dont contenant une métropole | 7 | 33% |
Élément notable : si on prend les départements qui contiennent des métropoles, 2/3 de ces départements vont gagner de la population quand 1/3 vont en perdre. Le facteur “le département inclut une métropole” est donc un élément différenciant mais pas drastiquement. Les métropoles (définies par la loi, elles sont au nombre de 21) n’entrainent donc pas toutes des dynamiques de gain important de population. Le phénomène de métropolisation n’est ainsi pas forcément lié à l’objet administratif qu’est la métropole, mais vraisemblablement dû a un objet urbain qu’est la métropole. L’autre raison peut être l’existence d’autres facteurs différenciants : pour des raisons de mieux vivre climatique par exemple, les département de la côte ouest devraient connaître une plus forte dynamique.
Les populations qui arrivent chez nous : l’imbrication entre démographie et politique d’enseignement et de recherche
Il est intéressant de voir que, en moyenne, les départements français perdent des habitantes et habitants sur la tranche 18-24 ans et se mettent à en gagner sur la tranche 24-40 ans. Or en Loire-Atlantique, nous gagnons beaucoup d’habitants qui ont exactement 18 ans, puis cela chute en négatif pour revenir à la hausse (au dessus de la moyenne française) sur la tranche 25-40 ans2.
“Attirer des jeunes”, voilà un objectif louable pour un territoire. Mais la réalité, c’est que l’attractivité de territoires comme la Loire-Atlantique se fait au détriment des autres territoires : en majorité, les jeunes partent de leur département d’origine à 18 ans. Ce mouvement ne serait pas un problème en soit s’il était équilibré, à savoir que les départs équilibraient les arrivées par tranches d’âge, encourageant donc à la mobilité pour découvrir le pays mais sans créer de déséquilibre. Hors ce qu’on constate c’est non seulement un déséquilibre mais, d’après l’INSEE, une augmentation de ce déséquilibre.
Ce pic d’arrivées à 18 ans, c’est bien sûr dû à la présence importante de pôles universitaires grandissants. Ce graphique montre bien l’imbrication entre la politique d’enseignement supérieur et de recherche et la dynamique démographique. D’autant que le temps des études est un moment important dans la vie, où l’on s’établit, on se crée un cercle amical, on s’ancre dans un territoire.
Ce sont donc autant de jeunes qui voudront rester ou revenir sur le territoire au cours de leur vie (on le voit avec le nouveau pic autour de 28 ans). Ce sont ces jeunes qui feront des enfants, et cela permet de faire le lien avec deux autres enjeux : soldes migratoire et solde naturel. Attirer des jeunes c’est faire augmenter son taux de natalité.
Affirmer ce lien est essentiel, car dans les projections de l’INSEE pour la Loire-Atlantique, le facteur qui varie le plus suivant les scénarios (ils en on fait 11) c’est la natalité. Cela pourrait laisser penser que si nous voulons limiter, ou du moins repenser, la répartition de population sur le territoire, il faudrait contrôler la natalité (ce qui est politiquement et socialement complexe) alors que pas du tout : il s’agit de rendre plus attractifs certains territoires pour les jeunes3.
Quand l’INSEE infléchit
L’INSEE a-t-elle toujours raison ? Non, d’ailleurs elle ne le prétend pas. Pour s’en assurer, il est intéressant de comparer l’étude de 2013 et celle de 2022. L’exercice était le même (mis à part le fait que 2013 se projetait jusqu’en 2050). Les projections de 2013 et 2022 pour la Loire-Atlantique sont strictement identiques. Dynamiques de population et aspirations de nos concitoyens n’auront donc connu aucun changement entre ces deux études.
Ce qui est intéressant en revanche, c’est de voir le changement de projection pour Paris : là où l’INSEE prévoyait une stagnation, voir une légère augmentation en 2013, la nouvelle projection part sur une diminution de 10% de la population d’ici 2070. Il y aurait donc eu un infléchissement relativement important de la projection entre ces deux périodes. De même mais dans une moindre mesure, l’ensemble des Pays de la Loire – hors 44 – a connu une baisse dans les projections de population4.
Conclusion
Ces projections ne sont pas des prévisions, pourtant elles sont prises comme tel par nombre d’institutions locales. Hors, les dynamiques démographiques ont toujours dépendu de grands élans dans la société, mais aussi de choix politiques. Derrière ces scénarios il y a donc des choix – ou parfois des non-choix – politiques. Nous avons donc le droit de ne pas être d’accord avec ce que disent ces courbes de nos territoires, de les prendre comme des alertes de “tendances actuelles” et de décider d’agir en conséquence.
Derrière ces approches purement quantitatives il y a une grande absente : c’est la question sociale. La situation actuelle d’attractivité et de crise du logement entraine de fait une forme de ségrégation spatiale qui ne va que s’amplifier dans les années à venir, et cela doit interpeller le politique.
Autorisons-nous donc à remettre en cause ce qui nous est présenté comme inéluctable, voir positif pour le territoire. Cette concentration de population sur quelques territoires n’est souhaitable pour personne : ni pour les territoires qui perdent des habitants, ni pour ceux qui doivent les accueillir à marche forcée. Et pour en savoir plus sur quelques idées de leviers pour y faire face, je vous invite à lire l’article “Quelles sont les limites de la Métropole ?” qui revient largement sur cette question et dont le présent billet n’était qu’une annexe.
Données
D’ici 2070, un tiers des régions perdraient des habitants
Notes
- Pour mes lecteurs les moins aguerris à la lecture des graphiques et la manipulation des chiffres, j’essaye d’écrire sous forme de texte ce qui se passe dans les données, vous n’avez donc pas nécessairement besoin de lire et comprendre les graphiques.
- Ces données n’étant pas disponibles pour l’étude de 2022, j’ai repris celles de 2018. Mais les projections et dynamiques de population n’ont pas changé pour la Loire-Atlantique.
- Cette question était aussi abordée dans l’article “Quelles sont les limites de la Métropole ?” dans la partie “Si les ressources sont limitées, faut-il limiter la population ?”
- A noter que si Paris va perdre presque 250 000 habitants en 50 ans (!), les autres départements de l’Ile de France gagneraient 315 000 habitants, marquant donc plus un renforcement de la périurbanisation parisienne qu’une déconcentration réelle à l’échelle nationale.