industrial machine during golden hour

On met un pognon de dingue dans les énergies fossiles

( 4 minutes de lecture)

Si vous lisez ce blog ou si vous consommez de l’énergie (spoiler : ça concerne tout le monde donc), vous l’avez remarqué : le prix de l’énergie a explosé. Du pétrole à l’électricité en passant par le gaz, les prix sont sur une pente ascendante inquiétante. Avant même la guerre en Ukraine, les prix avait été multipliés par 5 entre octobre 2020 et octobre 20211.

Avec la guerre en Ukraine, les prix se sont stabilisés à un cours haut, atteignant la valeur de 73,03 €/MWh le 11 mai 2022, soit plus de 6 fois la valeur d’octobre 2020. Le point rassurant est le cours de l’énergie-bois reste miraculeusement épargné de ce jeu de spéculation 2.

Le bouclier tarifaire

L’énergie n’est pas un sujet anecdotique dans nos vies : ce sont des dépenses contraintes, qui suivant les situations (nécessité de prendre la voiture tous les jours ou non, type de logement…) peuvent représenter une part importante du budget. Autre élément de fond : ce budget varie en fonction de la saison : l’hiver, le chauffage peut représenter une part très importante du budget des ménages, et on aboutit donc à une sorte de précarité énergétique saisonnière pour beaucoup de personnes 3.

Face a cette situation, qu’on se le dise, le gouvernement a agi, notamment en mettant en place un bouclier tarifaire sur le gaz4. Ce bouclier tarifaire sur le gaz est nécessaire, nos voisins belges qui ne l’ont pas fait sont dans une situation catastrophique : une connaissance qui habite Bruxelles me disait que là où sa facture d’énergie pour son logement était de 150€ en février 2020, elle est passée à 500€ en février 2022. Donc heureusement, nous avons en France mis en place des mesures pour que cela soit limité.

Concrètement les prix ont été bloqués à une date donnée, et le manque à gagner que subissent les fournisseurs devrait être remboursé au fur et a mesure par les consommateurs, lorsque les prix baisseront. Sauf que, guerre en Ukraine oblige (car le bouclier tarifaire a été mis en place avant), les prix ne vont pas baisser. Au final, c’est donc l’État qui éponge la différence entre les prix du marché du gaz et le prix fixé plus bas (que payent les ménages).

Les prix ne sont en fait pas vraiment “fixés” donc, même si pour les ménages le prix ne varient plus depuis quelques mois. C’est l’État qui paye la différence. Si vraiment on “fixait les prix”, ce sont les fournisseurs qui en pâtiraient. Ainsi, pour mémoire, les bénéfices de Total ont encore été record en 2021 ! Nous verrons donc bien d’ici quelques mois si, à travers ces dispositifs, certains énergéticiens continuent à tirer profit de la crise.

Le lobby des collectivités

Assez rapidement, des trous dans la raquette sont apparus, notamment au niveau local et à singulièrement l’encontre des réseaux de chaleur dont on sait l’efficacité vers la transition énergétique. Certes un bouclier tarifaire a été mis en place pour les particuliers, mais pas pour les marchés professionnels. Or, pour les réseaux de chaleur, qui ont une part de gaz, c’est sur le marché professionnel que nous nous alimentons. Résultat : les prix pour les usagers des réseaux de chaleurs ont commencé à grimper.

Un lobbying important a été mené par les collectivités (dont Nantes Métropole) via des réseaux, comme Amorce, pour rectifier cela. Après des mois d’attente, un arrêté est paru, et nous avons travaillé en plus à un bouclier tarifaire local pour les réseaux les plus touchés.

Les montants et l’horizon

Reprenons l’analyse au fond. Au mois de mai, nous avons passé la barre des 30 milliards d’euros dépensés par l’État pour le bouclier tarifaire. A titre de comparaison, le budget de l’ANAH (l’Agence nationale de l’habitat) de 2022 5 pour le “changement d’échelle” prévoyait d’investir 3,2 milliards d’euros pour la rénovation thermique. Si on rajoute à cela les 2 milliards d’euros de MaPrimeRénov’, on voit que les deux politiques publiques structurantes de l’État pour la rénovation de l’habitat pour 2022 sont alimentées par des budgets 6 fois inférieurs à celui qui a été mis dans le gaz (énergie fossile) pour le bouclier tarifaire ! Pour faire un autre parallèle : cela fait des années que la filière photovoltaïque plaide pour qu’on investisse dans la fabrication de cellules photovoltaïque en Europe (elles viennent toutes d’Asie). Une telle filière coûterait environ 1 milliard d’euros à créer, soit 30 fois moins que le bouclier tarifaire.

Cette subvention massive accordée aux énergies fossiles, alors que nous devons engager urgemment une bifurcation écologique, doit nous inquiéter ou a minima nous poser question. Faut-il le préciser : les écologistes soutiennent le bouclier tarifaire, car il est une solution d’urgence, palliative, à une crise qui aurait pu devenir une crise sociale majeure. Et malgré cette mesure, l’inflation sur beaucoup de denrées, dont énergétiques, génère des fins de mois difficiles pour nombre de ménages. Preuve que les solutions d’urgence sont largement insuffisantes. D’où la question : que faut-il faire maintenant ?

Une mesure d’urgence qui n’en n’est plus une

Car les solutions jusqu’alors proposées n’était que temporaires, pour répondre a une urgence. Or la crise énergétique s’installe, les prix vont continuer à augmenter ou a minima à rester élevés pendant plusieurs années. Du côté du Parlement européen, les retours que nous avons sont ceux d’une panique générale faite d’annonces chocs et d’incompétence… On miserait tout sur “l’installation de pompes à chaleur” et sur “l’énergie renouvelable hydrogène” 6.

Le problème de fond, c’est que personne ne semble prêt à assumer que nous sommes entrés dans une crise énergétique durable, aux effet structurels. Les réponses doivent être de cette ampleur. Pendant que notre gouvernement se maintient dans le déni, les collectivités préparent des potentielles pénuries d’énergie, se demandent quelles services doivent être privilégiés.

Cette crise reste celle d’un monde de l’opulence énergétique qui refuse de ses passer de l’énergie fossile. Cette crise doit être l’occasion d’engager une véritable politique de sobriété, de reprendre la main sur notre destin énergétique en recréant un service public de l’énergie puissant et surtout d’investir massivement dans la rénovation de nos bâtiments et les filières associées.

Bref, sortir des discours, et passer à l’action sur ce qui fait vraiment sens.

Sources / aller plus loin

  1. Voila ce que j’écrivais à ce propos en octobre 2021 … donc avant la guerre en Ukraine ! https://tristanriom.fr/2021/10/energies-pourquoi-les-prix-flambent/
  2. Pour en savoir plus : https://tristanriom.fr/2022/03/bruler-du-bois-pour-sauver-le-climat/
  3. Voir également l’article : https://tristanriom.fr/2022/01/qualite-thermique-des-logements/
  4. et pour l’électricité, en augmentant la quantité d’ARENH, mais comme je ne souhaite pas développer ce point ici, vous pouvez lire mon article https://tristanriom.fr/2021/10/energies-pourquoi-les-prix-flambent/. Une des pistes de propositions que je cite en fin d’article est celle qu’a retenue le gouvernement pour “limiter la casse” pour l’électricité, même si cela risque de ne pas suffire.
  5. Source : https://www.anah.fr/presse/detail/actualite/un-budget-2022-pour-le-changement-dechelle-de-lagence/
  6. , des propos réellement entendus, alors que l’hydrogène n’est pas une énergie renouvelable (c’est au mieux un vecteur énergétique et il faut énormément d’énergie pour en produire. On en avait parlé ici : https://tristanriom.fr/2021/04/lavion-vert/ )

Une réflexion sur « On met un pognon de dingue dans les énergies fossiles »

  1. Merci pour cet article très intéressant qui met bien en avant le « ponctionnement » de la filière gaz au détriment des solutions pour sortir de cette dépendance.
    Concernant les politiques sur la rénovation de l’habitant, je rajouterais même qu’elles n’ont pas toutes pour but de sortir de cette dépendance, juste la réduire. Quand on voit le coût d’une ITE (env 15k€ dans mon cas) et les économies promises (30% de chauffage).
    A la fin sur cette seule mesure on reste dépendant du gaz.
    Enfin, selon les revenus et l’aide accordée, le seuil de rentabilité sur l’économie de chauffage pour un particulier sur une ITE est parfois à plus de 30ans… Autant dire qu’on le fait plus pour l’avenir de nos enfants que pour des aspects financiers, ce qui doit limiter le nombre de démarches
    Il faut a minima combiner cet effort avec un changement de système de chauffage type PAC air eau, la seulement, le bilan carbone devient intéressant.

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