Énergies, pourquoi les prix flambent ?

( 7 minutes de lecture)

Depuis plusieurs mois on le voit dans la presse, les prix de l’énergie augmentent. Mais pourquoi ? Et qui ça concerne ? Après quelques lectures et échanges dans le cadre de mon mandat, voici mon résumé. Vous trouverez les sources à la fin.

Hausse(s) du (des) prix de l’énergie(s)

La hausse du prix de l’énergie est spectaculaire. Du jamais vu d’après certains analystes. Essayer de comprendre les raisons c’est essayer de comprendre des arguments qui sont habituellement réservés aux marchés financiers. Et c’est normal car l’énergie est devenu un marché comme un autre. Je vous épargne les concepts « d’indices », de « cours européens de références » ou de « séance », certains sites le font bien. Intéressons-nous plutôt à ce que ça veut dire pour une collectivité… ou pour les gens.

Pour une collectivité comme Nantes par exemple, l’énergie s’achète sur des cours de l’énergie qui sont soumis à la spéculation et aux caprices des marchés financiers. En octobre 2020 le MWh (unité d’énergie qui correspond à peu près à la cuisson de 1000 poulets) se vendait 40€ sur le marché « CAL 22 » (c’est-à-dire pour acheter de l’électricité en 2022). Aujourd’hui, ce cours frôle le 160€, soit 4 fois plus ! Et la situation est pire pour le gaz : de 12€/MWh en octobre 2020 il est aujourd’hui à 60€/MWh, soit 5 fois plus !

Pour celles et ceux qui aiment les graphiques :

Octobre 2021, Prix du gaz, Graphiques tiré des notes d’analyses du gaz et de l’électricité d’octobre 2021 édité par Opera Energie, à partir de données de European Energy Exchange.
Octobre 2021, Prix de l’électricité, Graphiques tiré des notes d’analyses du gaz et de l’électricité d’octobre 2021 édité par Opera Energie, à partir de données de European Energy Exchange.

Si vous habitez un 65m² étiquette D, vous payez à peu près 130€ par mois d’électricité ou de gaz. Imaginez si ce coût passait en un an à 650€ par mois ! De quoi faire basculer un grand nombre de personnes dans la précarité énergétique … Heureusement, c’est le marché « professionnel » de l’énergie, cette hausse ne correspond pas à celles que voient les particuliers. Pour des collectivités comme Nantes et Nantes Métropole par contre, le surcoût se chiffre en millions d’euros, et c’est autant d’argent que nous avons en moins pour d’autres politiques publiques. Pour vous rendre compte : quand on allume le chauffage dans les bâtiments de la ville et la métropole, cela coute 20000€ par jour. Et ce n’est que pour le chauffage, …

Quels effet pour les particuliers ?

Face à cela, le gouvernement à annoncé un « bouclier tarifaire ». Concrètement les tarifs vont rester les mêmes. Le problème, c’est que si les cours continuent comme ça, les fournisseurs vont vite perdre de l’argent. Il y aura donc un « lissage » de l’augmentation au printemps. Comprenez : à partir du printemps (disons après l’élection présidentielle!), le prix du gaz va augmenter pour se remettre au niveau du marché, et il faudra de surcroît rajouter un surplus pour éponger la perte engendrée par ce gel de tarif pendant 6 mois. Le gouvernement parie sur une baisse de l’énergie d’ici là, mais si jamais ce n’était pas le cas, il propose de baisser les taxes sur l’énergie. Traductions : les marchés s’envolent, et on limite la casse sociale en enlevant des impôts et donc en privant l’État de revenus.

Pour l’électricité, les modes de calculs des tarifs sont un peu compliqués. Ce site l’explique bien. Retenez qu’il existe l’ARENH (pour « Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique »), un « réservoir » d’électricité peu chère, garanti par l’État, permis par nos vieilles centrales nucléaires amorties1. Pratiquement, le tarif ARENH est de 42€/MWh, pour un volume de 100 milliard de MWh/an. L’ARENH est répartie entre les différents fournisseurs d’énergie. Une fois ce réservoir épuisé, les fournisseurs doivent se fournir sur le marché de l’énergie.

Les prix de électricité sont mis à jours 2 fois par an, la prochaine mise à jour est en février 2022. Il y a fort à craindre que le prix augmente fortement à ce moment.

Quelques raisons de l’augmentation

Les raisons de ces augmentations sont multiples :

  • La reprise économique a créé un « choc de la demande » (beaucoup de besoins d’un coup), or la production met du temps à reprendre. Les réserves de gaz se sont taries, l’hiver approchant des inquiétudes d’approvisionnements se font sentir… Bref, suivant la loi du marché, les éléments sont réunis pour une flambée des prix.
  • Quelques éléments ponctuels ou géopolitiques y participent également : un problème de raccordement entre l’Algérie et la France, des soucis d’installation en Russie ou encore une pression russe pour que les Européens autorisent l’exploitation du Nord Stream 2 (gazoduc controversé).
  • L’explosion du prix des quotas carbone pèse également. Pour bien comprendre les raisons de l’augmentation des prix de quotas carbone, il nous faudrait plonger dans le fonctionnement de ce marché spécifique, mais ça sera le sujet d’un autre article !
  • Le prix des énergies sont imbriqués : le gaz étant une solution d’appoint pour la production d’électricité, les prix de l’électricité sont nécessairement liés aux prix du gaz. D’ailleurs au niveau européen, les Français aimeraient bien faire sauter cette indexation.

Les questions de prix d’énergies sont un « traumatisme » pour le gouvernement, avec l’idée que ce serait la cause du mouvement des gilets jaune (en réalité, quand on voit l’évolution des revendications, on voit que ce n’était qu’un déclencheur). Avec le débat pour la présidentielle qui s’ouvre, il va falloir trouver un moyen de refaire de l’énergie un bien commun.

Le nucléaire à la rescousse ?

Un fournisseur d’électricité, Enercoop, refuse de piocher dans l’ARENH pour des questions de choix du mix énergétique : les tarifs bas de l’ARENH seraient dus à nos centrales nucléaires anciennes et amorties. C’est d’ailleurs un contre-sens dans le discours du gouvernement aujourd’hui : si les vielles centrales amorties permettent d’avoir de l’électricité à « bas-coûts »2, le gouvernement l’utilise comme argument pour dire qu’il faut de nouveau investir massivement dans les centrales. Pourtant, au vu du coût des nouvelles centrales, le prix de sortie serait très élevé.

Ce n’est donc pas – ou plus – avec le nucléaire qu’on maitrisera le coût de l’énergie. C’est, plus profondément, avec les autres éléments de la transition énergétique : sobriété et efficacité. Investissons massivement dans la rénovation énergétique des bâtiment, car il est là le vrai bouclier tarifaire long-terme de nos citoyens face à l’augmentation structurellement nécessaire du coût de l’énergie3 . C’est de plus la rénovation qui nous permettra de lisser le pic de consommation d’hiver et donc d’éviter le recours au gaz comme appoint.

Que faire ?

Pour les particuliers / Dans un très bon article qui décode le prix de l’énergie, UFC Que Choisir fait deux propositions : (1) relever le plafond de l’ARENH, donc augmenter le réservoir d’énergie à bas coût ; (2) alléger les taxes sur l’énergie. L’association de protection des consommateurs est bien dans son rôle, mais sur le long terme cette situation est intenable : augmenter le plafond de l’ARENH fragiliserait encore EDF en permettant à des acteurs qui se font de l’argent sur le dos de la collectivité 4 , soit la majorité des fournisseurs d’énergie ; et l’allégement des taxes viendrait aussi taper dans les finances de l’État qui compte bien sur cette taxe pour compenser le bouclier tarifaire mis sur le gaz.

Pour la collectivité / Pour la collectivité, sortir de ce marché volatile de l’énergie pourrait permettre d’éviter des dépenses non prévues et excessives. Une solution serait de devenir producteur d’énergie en investissant directement dans les énergies renouvelables. C’est d’autant plus intéressant que le tarif d’achat (prix auquel l’État achète l’énergie renouvelable) est à 98€/MWh 5, alors – on l’a dit – que le tarif de l’électricité a grimpé à 166€/MWh en ce début de mois d’octobre. Cela demande de s’organiser, d’avoir des gens pour gérer cela, mais il y aurait aussi une vertu politique : que les collectivités investissent dans les infrastructures d’énergies renouvelables permet de refaire passer la production d’énergie dans le public. J’entends là non pas une nationalisation de la production mais une municipalisation.

Conclusion : si vous pouvez rénover votre logement, faites-le ! C’est la meilleure protection contre ce marché fou de l’énergie et beaucoup d’aides existent. Si vous habitez Nantes Métropole, contactez l’espace FAIRE Mon Projet Rénov : https://metropole.nantes.fr/renover-logement

Aller plus loin et sources

Notes

  1. En réalité, EDF perd de l’argent en étant forcée de vendre une grande quantité électricité à un prix très bas. Ce prix ne reflète pas du tout les prix d’exploitation et de production réels. EDF demande depuis longtemps de rehausser les tarifs de l’ARENH car en l’état on fragilise l’entreprise publique, et beaucoup de fournisseurs d’énergie se font de l’argent dessus.
  2. en vrai on n’intègre jamais le prix complet du démantèlement, démantèlement que de toute façon on ne sait pas faire
  3. Pour ne parler que de la France et avec juste un exemple : en 2015 70% de notre énergie était d’origine fossile. Si nous voulons véritablement décarboner notre énergie il va falloir arrêter, limiter ou reporter ces usages. Avec un fonctionnement où les marchés fixent une partie du prix, cet appel de demande sur les énergies renouvelables va faire augmenter les prix de l’énergie. Tout l’enjeu de la transition écologique est de maîtriser et planifier cela pour revoir notre répartition des richesses et ne pas que ça se fasse au détriment des plus pauvres.
  4. Bon là aussi il faudra un article sur les fournisseurs d’électricité qui ne servent à rien dans la transition énergétique et qui sont néfastes à la chaine de valeur en général. Sauf les acteurs types Enercoop qui ont un vrai effet sur la chaine de valeur.
  5. Ce qui montre que les producteurs « s’y retrouvent » à ce prix là

2 réflexions sur « Énergies, pourquoi les prix flambent ? »

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